Texte écrit Dimanche le 15 avril 2018, 15 jours avant mon départ pour ma traversée du Canada à Vélo.

Un été sans gazer · Dimanche 15 avril 2018

J’ai fait beaucoup de choses seul dans ma vie.

Si souvent je me suis senti seul, je considère quand même toujours avoir été bien entouré.

Dans mon monde, tout le monde est différent, exceptionnel, particulier. Il n’y a pas d’ordinaires. Chaque individu est unique.

Je ne me souviens pas avoir jamais pensé autrement.
Pourtant, ce n’est pas parce que je n’ai pas eu accès à ce discours du Nous.
J’y ai tellement eu accès que j’en ai fait une organisation; N.O.U.S. de la Gaspésie.

Un blogue et une page Facebook.

Mais ce N.O.U.S.(1) n’est pas le nous avec lequel j’ai grandi.

Face au nous de mon enfance, il y a toujours eu les autres.

Comme si nous autres, on était mieux ou différents qu’eux autres.
Ça m’a toujours un peu dérangé.

Avec cette vision du monde, j’ai l’impression que je me suis moi-même mis de côté.

Souvent.

J’ai quand même essayé de me construire en pensant que j’avais le droit de faire ce que je voulais de ma vie. Mais avec une règle; faire aux autres ce que j’aimerais que les autres me fassent.

Reconnaître mon individualité sans que cette individualité coûte aux autres.

J’ai toujours essayé de vivre de cette façon en me disant que si tout le monde vivait ainsi, nous vivrions dans un monde où il fait bon vivre.

Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que tout le monde devrait faire du vélo tout le temps … bien que cet argument pourrait être défendable.

Si j’ai toujours essayé de faire de ma vie ce que j’en voulais, c’est en reconnaissant ma place au sein d’une communauté. Une communauté large et une autre de proximité.

Toutes mes actions ont un impact sur quelqu’un, quelque part.

En reconnaissant ce fait, j’essaie de limiter les impacts négatifs et de maximiser les positifs.

J’ai rapidement abandonné l’école et je m’organise pour que mes enfants y aient un accès raisonnable, mais pas exclusif.

Parce que je suis d’avis qu’on y formate plus qu’on y forme et y éduque présentement.

J’ai cessé de faire mes besoins dans une eau propre traitée à grands frais et qui se fait de plus en plus rare, pour apprendre à composter de manière sécuritaire les rejets humains.

Je me suis acheté une maison plus près de mon lieu de travail (maintenant télétravail) et de l’épicerie, et qui me permettait d’avoir d’autres options que la voiture pour mes déplacements. Ce qui n’est pas toujours évident en Gaspésie, mais qui pourrait tellement l’être si la confiance envers l’autre y était.

Je n’arrête pas de m’imaginer le potentiel énorme de la 132 pour l’auto-stop si on s’y mettait. Un auto-stoppeur, qui fait de la déscolarisation et qui composte ses excréments … je vous disais tantôt que je me sens seul des fois?!

J’ai eu la « chance » il y a quelques années de passer 33 jours complètement seul dans le bois.

Aujourd’hui, si je pouvais (ou lorsque je déciderai que je peux) je repartirais volontiers, sans hésiter pour revivre une telle expérience. Mais pour être honnête, cette « chance » que j’ai eu de vivre un mois que certaines personnes pourraient qualifier de méditation pleine conscience constante, était le résultat de mon incapacité à trouver d’autres personnes pour faire le voyage avec moi.

Ainsi en est-il de mon voyage cet été et de bien d’autres aspects de ma vie en général.

Ceci n’est pas une complainte, pas plus que la pipe de Magritte n’était une pipe.

C’est un constat que j’embrasse et qui si à la fin de ma vie m’obligera à dire que « Je n’ai pas fait tout ce que j’aurais aimé faire de la façon dont j’aurais aimé », me permettra certainement aussi dire que « Tout ce que j’ai fait, j’ai aimé le faire ».

Pour la petite histoire et puisqu’on est dans les confidences, en 2003 lorsque je dis que je suis allé de Yellowknife jusqu’à l’Océan Arctique en canot, ce n’est pas tout à fait vrai. En réalité, je me suis arrêté à un kilomètre de l’Arctique, dans un camp de pêcheurs inuit où allait venir nous chercher notre avion, pendant que mes trois compagnons de voyage allaient se tremper le gros orteil dans l’Arctique.

J’ai l’impression que je ne voulais pas mettre un terme à ce voyage. Je voulais qu’il reste ouvert ou me laisser la possibilité un jour d’y retourner parce que je ne m’y étais jamais rendu.

Après 50 jours de voyage en canot ensemble, juger l’autre n’était plus une option.

Alors, sans essayer de me convaincre, ils étaient partis conclure leur voyage pendant que je restai derrière sans regret. Seul.

(1) N.O.U.S. : Nouvelle Organisation pour l’Union et la Solidarité