JE SUIS ATTEINT DU SENTIMENT DE L’IMPUISSANCE D’AGIR

La première phrase de mon billet pourrait ressembler à celle des A.A.

« Je m’appelle Martin et je suis alcoolique. »

Qui serait remplacée par;

« Je m’appelle Martin et j’ai l’impression que peu importe mes efforts, ça ne changera jamais rien. »

Comme plusieurs personnes, j’ai regardé d’un œil curieux et de l’autre sceptique le film Don’t look up! Ceci ne sera pas une critique du film. Je l’utiliserai plutôt comme tremplin pour parler de mon propre sentiment d’impuissance malgré bien des efforts face aux défis de notre temps.

Ces défis, je n’ai certainement pas besoin de vous les rappeler, sont d’ordre écologique, social et politique. Et en tant que petit citoyen ordinaire, je me sens à peu près complètement dépourvu et inutile devant l’ampleur de la situation. Surtout frustré d’avoir ce sentiment d’impuissance face à nos représentant-es politique qui semblent à peu près tout aussi inefficaces que moi, malgré leurs énormes moyens.

Pourtant, je composte, je vis dans une petite maison, je mange local autant que possible, je marche, je fais du vélo, j’utilise ma voiture aussi peu que possible, 99% de mes vêtements sont seconde-main, je refuse catégoriquement d’utiliser les services d’Amazon, et si je vais chez Wal-Mart c’est exclusivement pour utiliser leurs toilettes.

Non seulement ça, mais depuis une quinzaine d’années, je dédie toute mon énergie-travail au développement social. J’ai travaillé à la mise sur pied d’un service d’alphabétisation, puis abandonné le salariat et mis en marche des projets autogérés qui ont bien fonctionné … rien n’y fait, mon sentiment d’impuissance perdure.

Bien sûr, j’ai mes bibittes psychologiques comme tout le monde. Je vis dans le doute à peu près constant. J’ai de la misère à me faire confiance, peu importe mes « succès ».

Mais au delà de ça, malgré mes doutes et mes manques de confiance à petite échelle, ce sentiment que collectivement nous n’arrivons pas à être à la hauteur de la situation malgré tous ces moyens extraordinaires à notre disposition, gruge sauvagement mes nuits.

Si ce n’était que de moi, il y a longtemps que j’aurais lancé la serviette, comme bien d’autres avant moi. Et aux bien intentionné-es qui s’inquiéteraient pour moi, merci, mais ça va être OK. Vouloir mettre fin à ses jours dans le contexte dans lequel nous vivons ne me semble pas complètement dépourvu de sens. Mais rassurez-vous, en signant mon contrat de papa je me suis engagé à aller jusqu’au bout, peu importe la complexité du problème auquel je fais face. Et puis, l’empathie me parlant plus que l’apathie et la collaboration plus que la compétition, c’est dans mes valeurs de vouloir contribuer au bien commun au lieu de m’isoler ou d’abandonner. Je veux mettre l’épaule à la roue, et malgré tout ce à quoi nous faisons face, je continue de croire que je pourrais laisser une empreinte sociale et peut-être même écologique positive plutôt que négative.

Tout ceci étant dit … je trouve ça fucking dur!

Esti que je trouve ça difficile. Frustrant. Absolument décourageant et enrageant.

Depuis 15 ans, j’ai l’impression de vivre et revivre toutes les étapes du deuil en boucle.

Un choc n’attend pas l’autre. Puis je me dis que ce n’est pas possible, ça me met en tabarnak, j’enrage, puis je me dis que collectivement nous ne faisons pas exprès, qu’il y a une part d’inconscience, et ça me rend triste. Je lâche prise. J’accepte la situation et je cherche des solutions. J’essaie quelque chose. Jusqu’à ce que la prochaine brique me tombe sur la tête … et ça recommence!

J’enrage, ça me décourage, puis on recommence.

Mais toujours, je me dis; On est quand même plus intelligent-es que ça … non?

On a tous les moyens pour vivre de manière décente, pour s’assurer que la prochaine génération (et les suivantes…) puisse vivre dans un monde meilleur que celui qui nous a été laissé. Non?

Il se trouvera toujours quelqu’un pour dire; … dans mon temps, c’était bien pire! Mais vraiment, est-ce qu’on peut encore croire que ce qui s’en vient pourra être mieux que dans ton temps?

À 53 ans, il me reste sûrement encore quelques bonnes années devant moi. Et c’est pas vrai que je vais laisser tomber mes enfants (ou n’importe quel enfant). Je n’ai très certainement pas LA solution pour régler tous les problèmes de l’humanité, mais pour une des rares fois de l’Histoire, j’ai accès à un shit-load d’informations sur le sujet.

Et surtout, je suis tanné, écœuré, d’attendre après les autres (peu importe qui les autres sont).

Je sais que je ne suis pas seul à me sentir impuissant, frustré et en quelque part profondément motivé à dédier le reste de ma vie et de mon énergie à ce chantier collectif, souvent pas très clair, mais oh combien nécessaire si on veut vraiment réorienter la trajectoire humaine.

J’ai eu des centaines, sinon des milliers de conversations avec des gens de tous les milieux qui souhaitent vivre dans un monde plus sain à tous les niveaux.

Je ne sais pas comment rassembler ces personnes et ces organisations qui dédient déjà la majorité de leur énergie-travail à contribuer à ce but, mais dans la mesure de mes modestes moyens, je vais essayer d’ajouter un peu d’eau à ce moulin encore en construction.

Pour ma part, j’ai abandonné le salariat. Je ne suis pas indépendant de fortune, mais depuis une vingtaine d’années j’ai diminué substantiellement mon besoin d’argent. Et surtout, j’ai changé au fil du temps mon rapport à l’argent. Comme un marteau ou un linge à vaisselle, j’ai remis l’argent dans son trou, avec son statu d’outil. Je n’idolâtre plus l’argent. Elle fait partie d’une série d’outils, sans plus. Les échanges, le troc, l’utilisation de monnaies complémentaires, mais surtout l’analyse puis la sélection et la réduction de mes besoins m’aident à vivre simplement et me permettent d’investir une grande partie de mon temps travail au projet mentionné plus haut.

Dans le courant des dernières années, j’ai investi beaucoup de temps dans le sujet d’un revenu minimum garanti et universel. Une façon, de base, qui assurerait que personne ne soit laissé de côté. Que tous et toutes puissent avoir accès au minimum nécessaire pour vivre dignement. Ce chantier, parmi bien d’autres, vaut la peine de continuer à y mettre du temps. Mais comme bien d’autres chantiers, j’ai souvent l’impression de donner des coups de rames dans le vide. Mais j’apprends, ou en tout cas, j’essaie d’apprendre au fil du parcours.

En parallèle de ce grand chantier qu’est le RDB, depuis plusieurs années j’essaie de mettre au point une formule qui me satisfasse personnellement. Un projet qui me ressemble et qui rassemble. Sa première mouture appelée Les chemins gaspésiens était déjà une variation sur le thème d’Horizons gaspésiens que j’avais créé avec des ami-es dans la foulée des soulèvement étudiant de 2012. On rêvait de s’organiser ensemble au lieu de toujours accepter de se faire organiser. De ces horizons et de ces chemins ont émergé un espace communautaire autogéré appelé le Loco Local, une monnaie complémentaire expérimentale faite à partir de billets de banque canadiens coupés en deux, le Demi et un essai collaboratif intitulé Sécession; et si la Gaspésie devenait un pays libre.

Tous ces projets ont nourri ma réflexion. Chacun faisant ressortir de bons coups et de moins bons. Tous étaient une petite contribution au grand chantier tentant de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie générale en toute conscience mais toujours dans la mesure de nos moyens individuels ou collectif à petite échelle.

Puis, depuis trois ans, après une traversée du Canada en solo à vélo (un bon moyen de se remettre les idées en place et à réaliser que c’est encore possible de faire de grande chose avec de petits moyens), j’ai essayé de créer un nouveau projet dans lequel j’allais encore une fois tenter à ma façon de contribuer au bien être collectif. Je l’ai appelé; Inspirer avant d’expirer.

Presque prêt depuis plusieurs mois, j’ai procrastiné comme c’est pas permis.

Mon but était clair et le même depuis 2012 avec Horizons gaspésiens, qui lui-même était inspiré des villes et villages en Transition du Transition Network; partager des expériences inspirantes pour voir qu’on n’est pas tout seul à essayer d’imaginer et de mettre en place des initiatives qui souhaitent s’éloigner du status quo et travailler à un monde dans lequel on prend soin des gens, de la nature et où le partage équitable est au cœur de nos préoccupations.

Même si dans ma tête le projet était clair, sur papier (ou sur le web) c’était loin d’être le cas.

Chaque jour amenait son lot de doutes. Certains probablement fondés, beaucoup pas du tout.

Puis ce matin, peut-être un peu à cause de Don’t look up! j’ai fait ce fameux premier pas qui maintes fois dans ma vie m’a été si difficile, et je me suis lancé. Pas en grande pompe, mais simplement et surtout, à ma façon, dans la mesure de mes modestes moyens. En écrivant ce texte, et en le partageant publiquement.

Inspirer avant d’expirer c’est ma tentative de contribuer à motiver les troupes, avant ma date d’expiration. Ce sera aussi, et peut-être surtout, mon grand livre de recettes vivantes pour mes (ou les) enfants. J’y raconterai mes bons (et moins bons) coups. Leur laissant une trace écrite pour leur partager un peu d’où ils arrivent pour les aider à mieux comprendre où ils s’en vont.

Inspirer avant d’expirer, c’est aussi ça; Inspirer … avant d’expirer.

Prendre le temps! Respirer. Et faire de son mieux.

Je ne sais pas où tout ça ira. Les moyens sont petits, mais la motivation est grande. Le plan de match est ambitieux, mais les pas seront très probablement assez petits … à échelle humaine. Je le fais parce que j’aime les gens. Parce que je crois encore qu’il est possible que nous agissions intelligemment et collaborativement pour le bien être commun.

Parce que je crois que d’agir de manière inspirée même à très petite échelle est plus facile que de rester là sans bouger, frustré-es de ne pas avoir de pouvoir pour changer les choses à grande échelle.

P.S. J’ai écrit ce billet pour partager mes réflexions comme à plusieurs reprises dans le courant des dernières années, mais aussi et peut-être surtout, pour me donner à moi-même un grand coup de pied au derrière afin de sortir de ma torpeur. J’espère donc vous retrouver très bientôt sur mon site web dont je remets constamment la sortie depuis plusieurs mois de peur de ne pas être à la hauteur. En espérant que j’arriverai à croire (ou accepter) dans les prochaines heures que sa hauteur (peu importe ce qu’elle sera) sera la bonne.